Véritables médiateurs entre le touriste et l’espace puisqu’ils sont un moyen d’accéder aux lieux touristiques, les guides de voyage méritent une attention particulière au travers des influences qu’ils peuvent exercer sur nous, les voyageurs.
Car il ne faut pas se le cacher, les guides touristiques conditionnent pour une grande part la façon dont les voyageurs vont appréhender l’espace visité. Par la sélection des lieux, qu’elle soit explicite (en ne mentionnant pas certains sites touristiques) ou plus implicite pour le lecteur (en accordant davantage d’importance à la description de certains sites), les guides de voyage ne renvoient pas une image totalement neutre des territoires qu’ils décrivent.
Si un ensemble d’éléments amène à penser que les guides touristiques participent à une différenciation de la valeur touristique des différents sites, on peut bien sûr contre-argumenter en arguant que finalement les choix finaux ne tiennent qu’au visiteur, qui a déjà fait le choix initial de suivre ou non les recommandations du guide.
Comment les guides de voyages nous influencent-ils ?
Pour tenter d’y répondre, nous allons découvrir les dessous des guides touristiques, en particulier comment s’établissent les critères de sélection et de classification de leurs ouvrages, et comment ceux-ci sont structurés. Soit autant d’éléments qui contribuent à influencer les choix des voyageurs.
La sélection et la classification des sites
Si les guides proposent une multitude de choses à voir, il leur faut les structurer pour aiguiller au mieux le lecteur. Un des moyens très vite adopté par les guides de voyage est la hiérarchisation des points d’intérêt. Pour ce faire, le système de cotation (le plus connu est le système d’étoiles des Guides Verts Michelin, repris entre autres par Le Routard mais sous une autre symbolisation) va très vite s’imposer comme le moyen le plus efficace. En quelque sorte, le système de cotation matérialise la hiérarchisation des lieux opérée par le guide. Il permet donc au lecteur d’identifier de façon extrêmement rapide, par une simple cotation allant souvent de 0 à 3, les lieux qui devraient être les plus intéressants à visiter. Mais que l’on ne s’y trompe pas, aucune étoile ne signifie pas forcément aux yeux des auteurs des guides touristiques que le site soit sans aucun intérêt. Il est tout de même sélectionné et décrit dans le guide. Au contraire, ceux jugés sans intérêt ne sont pas mentionnés dans le guide.
Un certain nombre de critères génériques sert souvent de base pour établir cette cotation. Ils s’organisent essentiellement sous trois aspects. Tout d’abord, il y a la première impression de l’auteur lorsqu’il se trouve face au site : son ressenti lors de sa découverte, mais aussi la notoriété du lieu. Ensuite, d’autres critères servent à déterminer la qualité de la visite : d’une part les éléments facilitant la visite et d’autre part, la qualité de l’accueil et de la visite en elle-même. A cela s’ajoute enfin des critères plus quantitatifs ayant trait aux caractéristiques du patrimoine : le nombre de monuments et/ou de musées à visiter, ainsi que la richesse de la visite (par exemple le nombre d’activités proposées).
A côté de cet ensemble de critères, pour certains assez précis et pour d’autres plus subjectifs, gravitent des critères totalement partiaux tels que la beauté, le charme, l’harmonie, etc.
Si la balance entre les critères subjectifs et les critères objectifs tend à être équilibrée, l’importance du nombre de critères subjectifs n’est pas à négliger car si le rédacteur détient l’entière liberté de choisir les sites et les curiosités qu’il va visiter, il détient également bien souvent les leviers en matière d’attribution des étoiles. A cet égard, on est donc en droit de s’interroger sur le respect par les éditeurs de guides des cinq engagements suivants lors de l’écriture des guides de voyage :
– la visite anonyme : est-ce que les auteurs de chaque guide visitent de façon anonyme et régulière l’ensemble des sites touristiques. Paient-ils leur visite et cherchent-ils à acquérir des informations supplémentaires sur les différents établissements, tel que le ferait un visiteur lambda ?
– l’indépendance : la sélection des sites s’effectue-t-elle en toute indépendance, sans la recommandation d’acteurs étrangers aux éditeurs de guides de voyage ? Il en va de l’intérêt du lecteur.
– la sélection : L’objectif d’un guide de voyage est de proposer une sélection de sites dans laquelle chacun puisse trouver ce qu’il recherche. Le guide doit ainsi offrir une gamme de sites correspondant à des catégories diversifiées (culture, nature, activités en famille, lieux insolites, etc). Alors, chaque site touristique est-il traité de façon identique, du monument historique mondialement connu à la petite curiosité naturelle insolite ?
– la mise à jour régulière : tant les informations de type pratique que celles relative au patrimoine sont en perpétuelle évolution. C’est pourquoi une mise à jour régulière de l’ensemble des informations pratiques, des classements et des distinctions doit être effectuée afin d’offrir l’information la plus fiable et la plus récente possible pour les lecteurs. La mise à jour des informations constitue certainement la tâche la plus importante de l’élaboration des guides actuels car elle en représente une très grande part du travail. Mais chacun sait que le temps consacré sur le terrain est insuffisant pour pouvoir mettre à jour complètement un guide. Dès lors, quelle est la réelle valeur ajoutée des nouvelles éditions ? Dans quelle mesure pouvons-nous nous fier aux informations ? Les guides de voyages ne devraient-ils pas jouer la carte de la transparence en mentionnant explicitement les informations qui sont à jour et celles qui ne le sont pas ?
– l’homogénéité de la sélection : puisque les guides de voyage sont écrits par des auteurs différents, comment les guides peuvent-ils assurer une quelconque homogénéité dans leur sélection ?
Il s’agit d’autant de questions dont les réponses varient certainement d’un éditeur à l’autre. Et donc, dans une certaine mesure, les guides de voyage peuvent certainement avoir une influence différenciée sur le voyageur.
Structurer afin de mieux diriger le touriste ?
Bien au-delà du système classificatoire des guides, leur structure aide également à guider le voyageur dans son choix de lieu de visite et aussi tout au long de celle-ci.
Premièrement, on peut considérer que globalement il existe deux types de guides touristiques, ceux agencés sous forme d’itinéraires et ceux composés d’une séries de localités décrites les unes à la suite des autres. Pour ces derniers, les destinations principales sont classées par ordre alphabétique, parfois selon par région. Le lecteur trouvera alors facilement les localités qui l’intéressent et pourra composer son circuit à sa guise. Le temps de visite est parfois indiqué pour organiser au mieux le temps du voyageur qui pourra alors concentrer sa visite afin de ne voir que les « hauts lieux » de la destination.
Deuxièmement, on peut relever un certain nombre d’autres mécanismes qui aident, voire influencent le voyageur, souvent matérialisés par une carte du pays, placée en début de guide reprenant les principales curiosités et régions touristiques du guide. Elle offre au lecteur une vue synthétique et parfois hiérarchisée des localités selon les différents niveaux d’intérêt. Cette carte est parfois complétée de circuits de découverte et des programmes de voyages permettant d’aiguiller le voyageur dans la composition de son itinéraire de voyage.
L’influence par les mots et les images
Il est avéré qu’il existe des processus par lesquels les guides touristiques exercent une certaine forme de pression sur les touristes. Ces derniers seraient tenus de suivre les recommandations que le guide lui fait à propos des points d’intérêt. Cette ascendance que le guide touristique prend sur le touriste passe par un procédé de langage plus ou moins complexe. Ainsi, pour aiguiller les lecteurs, les guides touristiques usent surtout des verbes, qui expriment l’impératif qu’ils sous-tendent. En particulier, ils jouent sur leur conjugaison puisqu’ils sont majoritairement à l’infinitif. A côté de cela, il y a d’autres moyens plus indirects, telle la hiérarchisation déjà évoquée plus haut. A cela s’ajoute le langage décoratif et les superlatifs. Le premier (le langage décoratif) marque un ensemble d’attributs, destinés à valoriser les choses à voir mais, n’apportant pas de réelles précisions sur l’objet décrit (tel que magnifique, admirable, etc.). Ces attributs, qui qualifient tout, en fait ne qualifient rien. Ils tendent à persuader le visiteur que leur choix est personnel, alors qu’il est dicté par le guide. Leur rôle tiendrait donc uniquement à conduire le lecteur aux choix proposés par le guide. Les seconds (les superlatifs) participent de la même manière à inciter le touriste à la visite.
Enfin, les illustrations présentent tout au long des guides de voyage donnent un avant-goût de ce que le visiteur va pouvoir découvrir et peuvent de la sorte quelque peu influencer le lecteur dans ses choix. Toutefois, il convient de nuancer leur portée même si un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. Les illustrations expriment de façon plus claire et plus directe ce qu’un texte aurait des difficultés à formuler. Mais la multiplication des illustrations tient certainement également à des stratégies commerciales. Ceci permet aujourd’hui à certaines éditions de sortir des guides où les illustrations sont nombreuses, les rendant ainsi plus attractifs et assurant une partie de leur succès actuel.
Et donc ?
Tout au long du processus de rédaction des guides de voyages, depuis les visites de terrain à la rédaction, il existe des mécanismes, voire des stratégies, menant à une différenciation des territoires touristiques. Inévitablement, les voyageurs sont donc influencés dans leur choix par la lecture des guides de voyages, même si cela se passe souvent de façon implicite.
Est-ce que cet état de fait encouragera certains voyageurs à se passer de plus en plus de guides de voyage alors que gagne du terrain la recherche de l’exclusivité. Toutefois, il faut bien l’avouer, ils nous sont bien utiles ces guides de voyages ! N’oublions pas également qu’à moins de vivre en totale autarcie, nous serons toujours influencés par des éléments extérieurs, allant des blogs de voyages aux discussions avec les populations locales.
Aurélie
août 4, 2015Ta réflexion est intéressante… Je suis une grande accro aux guides de voyage, mais depuis quelques temps j’essaie de moins me reposer dessus… Notamment pour tout ce qui est « bonnes adresses », je trouve toujours assez fou de se retrouver dans un endroit « recommandé » entouré de compatriotes, alors que potentiellement d’autres restos/hôtels auraient été tout aussi bien. Bref, pour les hôtels et les restos, je fais de plus en plus confiance à mon instinct. Pour les lieux à visiter, c’est plus compliqué… Les coins les plus touristiques sont quand même souvent touristiques pour de bonnes raisons 😉
Allant Vers
août 5, 2015Je suis d’accord avec toi. Nous devrions (ré)apprendre à faire confiance à notre instinct pour s’y fier plutôt que de suivre les avis, quels qu’ils soient.